Pierre Dailly

Pierre Dailly

Quelquefois en promenade,
nous sommes tels un livre
et deux pages ensemble,
chaque fois que le vent tourne ici
au pied du vieux moulin.
 
Mais quelquefois,
tel un roman d’un sou,
nous sommes loin des mots
que nous faisons sans entendre,
fatigués de sourire au vieux moulin.
 
(Heureux ! pas heureux !
Comment sais-tu que je t’aime ?)

La vie est pleine d’anecdotes rythmées par des temps de silence, et des gentils bavardages qui sont vite étouffés ou qui, parfois, tout aussi bien persistent comme haïkus d’une grande banalité.
Il m’arrive de parler aux pommes du verger un peu comme il est bon de bavarder autour du feu. Je me dois de leur parler pour être libre. Ce ne sont pas que des fioritures.
Les pommes me répondent mais je les comprends mal, voire pas du tout. Elles tremblent. Elles hésitent. Elles flottent au bout de leur branche comme des poèmes qui disent tout et si peu.
Je m’aventure dans le domaine du goût, des odeurs, du toucher, des couleurs, comme autant de voies d’accès à un sens inexplicable.
Je m’entretiens donc avec mes pommes comme on entretient sa maison, son jardin. Entretenir, c’est mon rapport aux choses. C’est une manière de les apprécier, de leur consacrer du temps. Quand on aime quelqu’un, on passe du temps avec lui. C’est le contraire de l’indifférence.
Aujourd’hui, j’ai accroché quelques phrases dans les branches des pommiers : « Il faut revenir à l’essentiel et s’y consacrer au mieux. – Retrouver la solitude. – Je suis là où je me dois d’être (Karen Blixen). – Nous allons bientôt mourir et nous ne savons toujours pas comment vivre » Je suis probablement plusieurs et pourtant à chaque fois je dis JE.


M O N D A N I S A T I O N

derrière la haie là juste où le magnolia aurait pu fleurir
le trou et les corps entassés
ceux du dernier tremblement
ceux du précédent génocide
avec les écrasés des vitesses déboussolées
ceux des manifestants fauchés en pleine crise des autorités
ceux dont on a recouvert à la hâte le sida
et tous ceux à venir des points stratégiques de l’horizon
 
 
devant c’est l’enclos
le territoire qu’irriguent les larmes
leur concert orchestré  grâce aux images satellite
tandis que fument les barbecues
humés des invités d’une mercantile polynationale
 
 
la musique émoustille les pas des danseurs
violons castrés de tout grincement
pianos aux touches toutes blanches
cymbales en habit de sourdine
les potins murmurent feutrés entre les bouchées à la truffe
puisque le petit temple au centre du jardin
se soutient sous des cariatides en polyester
 
 
la rumeur ne passe pas la frontière des robes haute couture
 
ni les cris de la jambe qu’ampute la mine
ni les hurles que torture génère
pas plus que le silence du regard de l’enfant sans chair
l’abcès  la façade en lézarde   la brûlure au napalm
le gel sur les pieds en-dessous des ponts
le sexe déchiré de la gamine  pas même pubère
 
 
 
l’herbe aura souffert de la valse
les estomacs d’un soupçon de saturation
l’important n’est-ce pas réside à l’ambassade et dans les transactions
car l’argent dépensé
est uniquement virtuel