Quelquefois en promenade,
nous sommes tels un livre
et deux pages ensemble,
chaque fois que le vent tourne ici
au pied du vieux moulin.
Mais quelquefois,
tel un roman d’un sou,
nous sommes loin des mots
que nous faisons sans entendre,
fatigués de sourire au vieux moulin.
(Heureux ! pas heureux !
Comment sais-tu que je t’aime ?)
La vie est pleine d’anecdotes rythmées par des temps de silence, et des gentils bavardages qui sont vite étouffés ou qui, parfois, tout aussi bien persistent comme haïkus d’une grande banalité.
Il m’arrive de parler aux pommes du verger un peu comme il est bon de bavarder autour du feu. Je me dois de leur parler pour être libre. Ce ne sont pas que des fioritures.
Les pommes me répondent mais je les comprends mal, voire pas du tout. Elles tremblent. Elles hésitent. Elles flottent au bout de leur branche comme des poèmes qui disent tout et si peu.
Je m’aventure dans le domaine du goût, des odeurs, du toucher, des couleurs, comme autant de voies d’accès à un sens inexplicable.
Je m’entretiens donc avec mes pommes comme on entretient sa maison, son jardin. Entretenir, c’est mon rapport aux choses. C’est une manière de les apprécier, de leur consacrer du temps. Quand on aime quelqu’un, on passe du temps avec lui. C’est le contraire de l’indifférence.
Aujourd’hui, j’ai accroché quelques phrases dans les branches des pommiers : « Il faut revenir à l’essentiel et s’y consacrer au mieux. – Retrouver la solitude. – Je suis là où je me dois d’être (Karen Blixen). – Nous allons bientôt mourir et nous ne savons toujours pas comment vivre » Je suis probablement plusieurs et pourtant à chaque fois je dis JE.
LE PAYS TRAVERSANT
Je pratique l’Escaut, du bord, à pied ou en vélo. L’Escaut dans sa courte parenthèse wallonne ne me fait pas regretter les versants de la Meuse.
Je pratique l’Escaut, à quai, en rêvant. À quelques détails près, longeant le fleuve, je pratique aussi la Sambre, cette rivière de mon enfance au nom si joli, proche du mot “Ambre” qui surprend et enchante. À chacun ses idées, son cœur, ses cheminements et ses détours !
Je pratique l’Escaut, du bord, d’un œil. Je comprends mieux le pays que je vois davantage le ciel. Je conçois mieux la pente que le courant est faible.
D’un côté, le miroir de l’eau, le ciel en ogive ; et de l’autre, des herbes hautes, des gravats, des récipients en plastique, des préservatifs.
Je pratique l’Escaut des suicidés.
Je pratique l’impraticable. Je poursuis un fleuve universel. J’apprends sa douceur et sa violence. L’océan s’est échoué quelque part ici traçant une frontière au centre du pays.